Mon blog est un miroir... Le reflet de toi, lui, moi… Vous y trouverez mes articles en réaction aux événements de l’actualité… Ma poésie… Des poèmes et chansons traduits de l’arabe… Mes chansons et poèmes célèbres préférés… De l’humour pour rire… mais aussi pour réfléchir... (TOUTE utilisation des articles ou vidéos Youtube de SAMIA LAMINE à des fins commerciales est strictement interdite. ME CONTACTER pour toute AUTORISATION.)
KACEM ET BAHIA.
Comme tous les petits, il aimait jouer au ballon, à la toupie et aux billes dans le quartier avec ses amis. Comme tous les petits, il a eu peur de l’école le premier jour de la rentrée. Comme tous les petits, il aimait beaucoup son institutrice qui était douce, tendre et attentionnée. Comme tous les petits, il aimait sa mère.
Mais lui, ne connaissait pas sa mère décédée au passage d’un barrage alors qu’elle devait aller à l’hôpital pour accoucher.
Il était, donc, né dans la rue et son premier cri fut accompagné du rugissement des obus qui achevèrent les douleurs originelles de sa maman.
Un jour, il pleuvait à torrent. Il errait dans les rues vides. Sa longue chevelure noire collait à ses joues et couvraient un front que le destin géographique avait déjà sillonné. Il marchait à pas lents. Le vent, très fort, venait d’abattre des arbres qui avaient vu les bulldozers de la destruction…

C’étaient des oliviers, pourtant, réputés pour être éternels. Mais le souffle de la nature en colère patronné par l’œuvre destructrice de l’homme avait rendu sa tâche facile. Ils roulaient au milieu de la chaussée sans qu’il soit tenu compte du code routier.
Le jeune homme était muet quoiqu’il eût envie de crier et d’implorer le vent. Mais ses cordes vocales furent étranglées et sa gorge ne laissait pas sortir les mots. Alors, il se mit à courir…
Et entraîné par la force éolienne, il arriva au bout d’un chemin où se dressait encore un de ces géants plantés depuis des milliers d’années car il avait, à tout, résisté. Mais, il s’y cogna et tomba sans pousser aucun cri. Le lendemain, il se réveilla. L’arbre ou son fantôme, il ne savait plus, n’était plus là!
Des perles de larmes limpides perlaient des deux yeux noirs effrayés et caressaient ses joues. Des mains blanches étaient enfouies dans la nuit de sa chevelure encore humide. Etait-ce un ange? Une fée? Une apparition?
Soudain, il sursauta.
C’était Bahia son ami d’enfance ! Pendant des années, ils s’assoyaient sur le même banc. Pendant des années, leurs cœurs, réprimés et séparés par des murs en béton, battaient l’un pour l’autre. Pendant des années, leurs âmes muettes se parlaient à distance. Pendant des années, leurs regards attendaient le miracle de cette tempête !
Kacem se retrouva après toutes ces années. Le temps avait tout tué en lui sauf l’amour de la terre. Pourtant, le travail de la terre, dans les oliveraies des colonies avoisinantes qui entouraient son petit village comme un champ clôturé de barbelées, avait durci ses mains.
Et avec ses mains amoureuses et nostalgiques des années innocentes, il écarta un rayon du soleil qui effleurait les petites lèvres fraisées de sa bien aimée… Puis, il serra tendrement ce buste mûri…
Et ils se levèrent… Ils marchèrent doucement, lentement, sans se parler…sans se dire un mot…Ils se sont posés la tête l’un contre celle de l’autre comme pour chercher à assouvir leur désir de la paix et de la sérénité de l’âme, comme pour s’abreuver de la tendresse et de la douceur qu’ils n’avaient jamais ressenties depuis les derniers jeux innocents…
A huit ans, en revenant de l’école, Bahia avait vu son père, sa mère, son petit frère et sa poupée sous les décombres de leur immeuble bombardé. Sa tante avait demandé qu’elle aille chez une cousine pour qu’elle y mange et dorme et afin de lui épargner de voir les corps ensanglantés, déchirés, concassés et les os brisés et broyés.
Mais la petite, habituée à ces spectacles, comprit qu’elle devint orpheline. Elle criait en silence. Elle pleurait son papa, sa maman, Midou et Lina ! Midou était son petit frère Mohamed âgé de trois ans et Lina sa poupée avec laquelle elle jouait, qu’elle coiffait, lavait et habillait. Et depuis, elle ne les a plus revus !

En retrouvant Kacem, ce jour là, Bahia retrouva le temps perdu et pensa que ses larmes allaient sécher.
En effet, deux mois après leur rencontre, Kacem et Bahia se marièrent. Amis, voisins, tous les gens du village étaient là. On dansait la dabka. On chantait et poussait des youyous de joie.
Mais, vers minuit, les festivités furent interrompues par un signal d’alarme et les hélices des hélicoptères qui tournoyaient et sonnaient le glas!
En hâte, tous les invités embrassèrent les deux nouveaux époux qui pensaient être enfin réunis, qui croyaient qu'ils allaient goûter aux plaisirs de la vie et vivre un bonheur que leurs yeux, étincelants pour la première fois, n’avaient jamais connu !
Après s’être promis fidélité et s’être jurés de se soutenir dans le meilleur et le pire, ils partirent. La voiture décorée de rubans du Cheikh Ahmed les emmena chez eux : un petit appartement qu’il avait loué pour quelques Lires.
Mais, avant d’arriver à leur maison, ils sentaient l’odeur de la fumée ; Ce n’était pas de l’encens provenant des canouns. Et quand ils s’en approchèrent des gouttes d’eau mouillaient la voiture; Ce n’était pas de l’eau de rose. Ils entendaient des voix excitées; Ce n’était pas des youyous. Ils voyaient des étincelles brillantes ; Ce n’était pas un feu d’artifice.
Et enfin, ils étaient à deux pas de leur foyer : l’immeuble était complètement détruit, les chiens flairaient les décombres, les sapeurs pompiers venaient d’éteindre les flammes, les infirmiers emportaient les blessés et les volontaires mettaient les cadavres dans des sachets.
Kacem et Bahia se regardèrent. Puis, leurs yeux écarquillés sondèrent l’aurore. Le soleil allait se lever…
© 2008 Samia Lamine