«- Quand, un jour, le peuple veut vivre
Forcément, le destin lui obéit
Et forcément, la nuit se dissipe
Et forcément, les chaines se brisent…
Et… celui qui n’est pas attaché à la vie
S’évapore dans l’atmosphère et y sera englouti ;
Malheur, donc, à celui que la vie n’exalte pas :
Au coup du victorieux néant, il n’échappera pas.»
Ainsi, me dirent les êtres
Et me parla leur âme cachée.
Et le vent maugréa entre les vallons,
Sous les arbres et sur les monts:
« -Quand je tends vers un but
J’enfourche l’espérance et oublie toute prudence.
Et je n’évite ni les montées scabreuses
Ni les boules de flammes embrasées…
Celui qui n’aime pas grimper les montagnes
Vivra éternellement entre les fossés ».
Alors, le sang de la jeunesse tourbillonna dans mon cœur
Et dans ma poitrine, des vents nouveaux hurlèrent
Et je me mis à écouter le grondement du tonnerre
Et la mélodie des vents et le bruit de la pluie
Et la terre me dit, quand je lui avais demandé :
« -Oh, mère ! Est-ce que tu hais l’humanité ? »
« -Je bénis, parmi les hommes, les ambitieux
Et ceux qui aiment affronter les dangers
Et je maudis ceux qui ne se conforment pas au temps
Et se suffisent de vivre la vie… la vie des pierres.
Ainsi est l’univers .Vivant. Il aime la vie
Et méprise le mort quel que soit son rang…
Ni l’horizon n’accueille les oiseaux morts
Ni les abeilles ne lèchent les fleurs fanées.
Et sans la tendresse maternelle de mon cœur,
Les tombes n’accueilleraient jamais les morts.
Malheur, donc, à celui que la vie n’exalte pas,
Au coup du victorieux néant, il n’échappera pas».
Et un soir d’automne,
La nuit était épuisée par le chagrin et l’ennui,
J’étais enivré tant les étoiles brillaient
Et j’ai chanté à la tristesse tant qu’elle s’est enivrée
Et j’ai demandé à l’obscurité :
« -Est-ce que tu peux ressusciter
Ce qui est par le printemps fané? »
Mais les lèvres de la nuit ne répondirent pas
Et les nymphes de l’aube ne chantèrent pas.
Et les bois me dirent avec une douceur
Aussi admirable que les vibrations des cordes :
« -L’hiver arrive, l’hiver embrumé,
L’hiver de la neige… l’hiver de la pluie.
Alors, s’éteint la magie… la magie des branches,
La magie des fleurs, la magie des fruits
Et la magie de la belle et douce nuit
Et la magie des prairies exquises et embaumées.
Et tombent les branches et leurs feuilles
Et les fleurs d’un temps tendre et aimé.
Et le vent les emporte dans tous les fleuves
Et le courant les enterre où qu’il passe.
Et tout s’éclipse comme un beau rêve
Qui illumine un cœur et puis, disparait.
Et …persiste la semence, qui porte
Les réserves d’un bel âge évanoui
Et le souvenir des saisons et le songe d’une vie
Et les troupes dispersées des fantômes d’une vie…
Enlaçant, sous la brume,
Sous la neige et sous la pluie,
La douceur d’une vie qui jamais n’ennuie
Et le cœur du printemps doux et parfumé…
Et rêvant des chants des oiseaux
Et de la fragrance des fleurs et du goût des fruits.
Et …le temps passe… et… des douleurs naissent
Et des douleurs périssent et puis d’autres renaissent.
Et ses rêves deviennent une réalité
Parée du mystère de l’aube.
Et elle demande : -Où est la brume du matin ?
Et la magie de la nuit ? Et le clair de la lune ?
Et l’essaim des élégants papillons ?
Et les abeilles qui chantent ? Et les nuages qui passent?
Et où sont les rayons et les êtres ?
Et où est la vie que j’attends?
Que j’ai soif de la lumière au-dessus des branches !
Que j’ai soif de l’ombre sous les arbres !
Que j’ai soif de la fontaine, entre les prairies,
Dansant et chantant entre les fleurs !
Que j’ai soif des chants des oiseaux,
Des murmures de la brise et de la mélodie de la pluie !
Que j’ai soif de l’univers ! Mais où est l’existence ?
Mais quand verrai-je le monde auquel j’aspire ?
Tel est l’univers… il est derrière la torpeur de l’inertie
Et à l’horizon du grand réveil. »
Et il ne fallut que le temps d’un battement d’ailes
Pour que son désir grandît et triomphât.
Alors, la terre se fendit
Et révéla l’univers en sa plus belle image :
Et vint le printemps avec ses mélodies
Et ses rêves et sa jeunesse embaumée.
Il posa sur ses lèvres des baisers
Qui ravivent la jeunesse perdue
Et lui dit : « - On t’a donné la vie
Et tu es éternisée grâce à ta progéniture épargnée.
Et la lumière t’a bénite… Accueille donc
La jeunesse de la vie et la fertilité de l’âge.
Celui dont les rêves adorent la lumière,
Est bénit où qu’il paraisse.
A toi l’espace et à toi l’univers et la lumière
A toi la terre rêveuse et prospère !
A toi la beauté qui éternise !
A toi l’existence fraîche et immense !
Gambade à travers les champs
Avec les doux fruits et les plus belles fleurs.
Et confie-toi à la brise et confie-toi aux nuages !
Et confie-toi aux étoiles et confie-toi à la lune
Et confie-toi à la vie et à ses passions
Et à la beauté de cette superbe existence ! »
La nuit laissa transparaître une beauté profonde
Qui rafraîchit l’imagination et ranime l’esprit…
Et l’univers baigna dans une étrange magie
Que gère un grand magicien.
Et… s’allumèrent les bougies des éclatantes étoiles
Et s’évapora l’encens… l’encens des fleurs.
Et une âme d’une étrange beauté
Ayant des ailes de clair de lune se mit à frémir.
Et … retentit l’hymne sacré de la vie
Dans un temple rêveur et envoûtant.
Et il annonça dans l’univers que l’ambition
Est la flamme de la vie et de la fortune
Et que si les cœurs aspirent à la vie
Forcément, le destin leur obéit.
Abou Kacem Chebbi « Les Chants de La Vie » 1934.
Poème traduit par Samia Lamine publié p108, dans mon recueil "Dabka jusqu'à l'aube" (2013).