1-
Et Sarab* dit
Sur un ton plein de reproches
Tandis que dans ses prunelles rayonnait une question :
-Oh, père !
Pourquoi te vois-je ainsi brisé
Tel un ganga épuisé par la ruine ?
Pourquoi te vois-je triste
Comme une « Daglaya»* dans l’extrême nord
Qui gémit de froid
Et qui se plaint de l’orphelinat et de l’exil
Père que se passe t-il ?
Que t’arrive t-il ?
Tu es près de moi mais… combien je te sens loin !
Tu es mon père mais combien tu me sembles étranger !
2-
Sarab,
Ô ! Elexir de l’âme dans les années de la douleur,
Ton père est ébranlé…
Le temps bâtard des arabes l’a détruit
Et l’a réduit en fantôme dans un pays où niche la ruine.
3-
Sarab,
L’oxygène de ton père est humiliation
Sa nourriture… humiliation
Ses boissons… humiliation
Son réveil… humiliation
Son sommeil… humiliation
Et son histoire est scandale, oppression et spoliation… !
4-
Sarab,
Ton père aime la vie
Et le désir de vivre…
Le simple gémissement d’une flûte… trouble son coeur…
Et le sourire d’un enfant
Et la goutte de pluie
Et l’éclat des éclairs qui déchire les nuages
Mais, ils ont enchaîné son poulain
Et ils ont brisé ses lances
Et ils ont brûlé son poème
Et ils ont dissipé ses rêves.
5-
« Sarab »,
Ton père descend de vrais hommes…
Ton père descend des cavaliers et des poètes révoltés.
Ton père a vu son visage vautré dans la boue.
Ton père a vu des horreurs qui feraient basculer les hautes cimes
Et horrifier les éclairs, les tonnerres et les tempêtes…
Et même les volcans
Et même le flux des torrents !
6-
Sarab,
Ô ! Ma chérie et ma compagne de route !
Sarab,
Ô ! Toi ma consolatrice dans les nuits de la douleur !
Ton père les a vus, un soir, à Baghdad, démolir le Palais « Errachid »
Et dormir dans la mosquée « Hanafite »
Et jeter dans le Tigre le plus précieux des livres…
Ton père a vu Al Moutanabi gisant par terre
Sans rien, autour de lui... mais des mouches… mais des loups.
Ton père a vu « Leila » épouvantée…sans « Kais ».
Elle criait… Elle criait…
Mais personne ne lui répondait…
Un horrible silence remplissait l’espace… De la mer à la mer…
On n’y entendait rien… Pas même l’aboiement des chiens…
7-
Sarab,
Ô ! Prunelles de mes yeux.
Ô ! Basilic de mon âme.
En ce temps de la stérilité, des braises et des stratégies guerrières.
Ton père les a vus en Tunisie, un certain matin.
Ils avaient jailli du terrier de la mort,
Les cheveux ébouriffés
Et le visage empoussiéré.
Ils n’étaient rien… rien que des barbes et des Nikabs.
Rien… ils n’étaient rien que la saison de la ruine !
Ton père les a vus
Avec sur leur tête le drapeau de l’obscurité,
Et aux mains le discours d’un livre.
Il les a vus démolir l’édifice de la civilisation
Et faucher la tête des lions
Et celles des douces gazelles
Avec leur si mauvais sabres.
Ton père les a vus ivres de sang
Et il les a vus applaudir la ruine !
Sarab, mais
Comment sont- ils sont venus ?
De quelles tombes sont- ils sortis ?
Et comment se sont-ils infiltrés entre les peaux et les habits ?
Réponds…
Réponds…
Ma petite « Souraybou ».
Oh, ma petite… je deviens fou !
8-
Sarab, chérie de mon cœur,
Ma compagne de route,
Ton père a les yeux… crevés[1].
Guide- le ! Sois sa boussole dans le désert
Et sa boussole dans les vallées !
9-
Et me voyant si brisé,
Effrayée de me voir dans le noir
Sous un ciel sans météores,
Sarab dit :
Père ! Je ne t’abandonnerai jamais…
« Nous extirperons la mort de notre terre
Quand bien même ils allumeraient le feu dans nos corps
Quand bien même nous déchireraient les fouets [des chiens]"[2]»
Mohamed Hamdi (Traduit de la'arabe par Samia Lamine)
1) Référence à Œdipe.
2) Extrait adapté du poème du poète palestinien Mouiin Bsissou. Dans le texte original, Bsissou évoque « les fouets des tyrans ».
*Sarab: Nom propre féminin signifiant "mirage". C'est le prénom de la fille du poète.